Une céramiste et un poète belges ont choisi des formes japonaises pour exprimer leur besoin de lenteur et de simplicité dans ce monde où tout tourne de plus en plus vite.
Et si le monde tournait moins vite ? Si on prenait le temps de prendre le temps ? Si on s’asseyait sur un banc et si on déposait notre fardeau ? Si nos doigts se reposaient sur le bois du banc ? Si nos yeux regardaient sans autre but que regarder ? Si d’aventure le calme choisissait de venir en nous ? Si la lenteur n’était plus un défaut, mais juste l’amie indispensable de la vitesse ? Si le « moi je » arrêtait de vouloir, de prendre et retenir, de croire et d’espérer, s’il se contentait d’un peu de vent sur son visage, d’une rencontre avec un papillon, d’un sourire ou du chant d’un oiseau ? Si le temps d’un instant une respiration profonde faisait naître un bien-être formidable ? Si la tassé de thé devenait simplement une boisson des dieux ?
Verser le thé
En un filet de lumière
Novembre1
Le haïku et le raku se cherchent parmi tous ces « si ». Juste écouter le bruissement du monde et voir les cadeaux qui parsèment notre chemin, jusque dans les choses les plus banales. Se laisser toucher par le mystère, l’inexplicable, en oubliant nos préjugés. Tout à coup quelque chose se passe, le dedans et le dehors sont liés et résonnent. Pas de frontières dans l’univers. Ce quelque chose prend corps. La main et les doigts touchent la matière. La terre glaise et la feuille blanche deviennent des espaces de liberté. Comment acter humblement, simplement, justement, joliment l’expérience vécue ? Comment transmettre cette émotion, ce mystère ? La poésie et la céramique viennent s’épauler et jouer avec l’intemporalité de l’instant.
France Cayouette dit à juste titre que le haïku est un acte de résistance contre la rapidité dévorante et le sensationnalisme[1]. Quoi de plus simple qu’un haïku ou qu’un raku ? Ils se livrent nus, en un souffle, un coup d’œil, une gorgée. L’auteur témoigne d’un microévènement, d’une image fugace, que tout le monde peut voir, que tout le monde comprend, dont il ressort une émotion profonde.
Le haïku parle de choses simples, avec des mots simples, dans un style simple[2].
C’est un peu retrouver ses émois d’enfance, cette curiosité naïve devant la vie qui se déroule. D’ailleurs, les enfants sont de très grands haïkistes, sans avoir suivi des cours de poésie japonaise.
Une plage immense
Un tout petit crabe
Une très grosse peur ![3]
Matinée de ski
J’enlève mon gant
Pour toucher un nuage qui passe3
Sur le beurre
Le chat dessine avec sa langue
Un paysage d’hiver3
Le haïku pourrait ressembler à une très bonne photo. Le photographe donne à voir sans se montrer. L’image est simple, claire, compréhensible et pourtant elle vous invite à la méditation, à la rêverie… quelque chose d’indéfinissable se passe qui touche au plus profond.
gare dans la brume
la magnifique photo
aucun photographe [4]
La céramique “Raku” est principalement basée sur la beauté de l’imperfection[5]. Le potier est l’humble artiste dont la marque des doigts sur la matière montre une beauté inachevée. Le bol à thé (Chawan) en est le parfait exemple. Il n’est pas fait uniquement pour être regardé, il doit être touché. Les déformations du bol permettent de ressentir le mouvement des doigts du potier, une intime relation avec la pensée du créateur. La particularité de cette céramique est que chaque pièce est façonnée à la main et non au tour. En tournant le bol terminé dans les mains, on se rapproche du touché éprouvé par l’auteur. Sa forme est d’une simplicité trompeuse ; Le touché, la couleur, le brillant diffère de façon complexe selon les endroits et éveille différents sentiments. Chaque potier développe une céramique en rapport avec son approche philosophique et sa propre sensibilité.
Les méthodes de cuisson sont restées identiques au cours des âges. Cette cuisson consiste à porter à température de cuisson (900°C-1000°C) une pièce émaillée ou non. Dès que la glaçure est fondue, la pièce est sortie du four et aussitôt refroidit. Les différents rendus de la glaçure sont obtenus en créant une réduction d’oxygène soit dans des copeaux de bois, soit directement plongé dans un bac d’eau. À cet instant il y a toujours une part aléatoire, l’instant où l’on n’est plus maître de l’avenir de la pièce, l’alchimie de nature et de l’humble création donne naissance à une œuvre unique.
Le bol devient au Japon l’objet essentiel de la culture du thé. Chaque détail du bol est une évocation sereine de la nature. Se pencher sur la philosophie de la céramique “Raku” conduit à une passionnante analyse des valeurs humaines, les frontières disparaissent, et les esprits s’enrichissent de complémentarité.
« C’est parce que le bol Raku n’a l’air de rien qu’il intéresse le Zen »
« Dans mes mains, je tiens un bol de thé. Je vois toute la nature dans sa couleur verte. Fermant les yeux, je vois des montagnes vertes et de l’eau pure dans mon cœur. En silence, assis, buvant le thé, je les sens devenir part de moi-même. Partageant ce bol de thé avec d’autres, eux, aussi, deviennent un avec la nature. Ainsi nous pouvons trouver une paix durable en nous-mêmes, en compagnie d’autres. »[6]
Ainsi la Voie du Thé permet de s’ouvrir aux autres et de vivre le moment présent. C’est une forme d’hospitalité très raffinée et simple, qui vient de notre for intérieur, un trait d’union entre la poésie et l’art de la céramique.
L’œuvre achevée, Haïku ou Raku, l’auteur s’en éloigne sur la pointe des pieds. Pas question qu’elle devienne une estrade pour se mettre en évidence. Les potiers et les poètes roulent rarement en Mercédès, mais ils cultivent leur sensibilité, leur fragilité et leur regard sur la vie.
[1] La lenteur au bout de l’aile aux éditions David (2007)
[2] Ikuyo cité par Serge Tomé www.tempslibres.org
[3] In Mon livre de haïkus par JH Malineau et J. Coat chez Albin Michel Jeunesse (2012)
[4] F. Soete in Ploc La revue du haïku n°56 (2014)
[5] Les commentaires à propos du Raku proviennent essentiellement d’un article publié sur le Web http://artzenjaponais.unblog.fr/le-raku/
[6] Soshitsu Sen,Hounsai Daisosho, 15e Grand Maître de thé de l’école Urasenke, cité par Thierry Geerincx http://www.voiesorient.be/.
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